EDITORIAL 30 juin 2017
À la radio, un journaliste commentait l’alourdissement hallucinant des peines qu’allaient bien- tôt encourir les contrevenants au code de la route. Vers 13 heures, au journal de France 2, Élise Lucet racontait l’histoire de citoyens lambda qui, le plus humainement du monde, ont recueilli un bébé renard abandonné au bord de la route, l’ont nourri, soigné, élevé dans un enclos sur leur propriété. Puis la justice s’en est mêlée car, en France, il est interdit de recueil- lir un animal sauvage, sous peine de forte amende et de peine d’emprisonnement. Le même
jour, en 4e de couverture du journal l’union, une publicité pour le Quinté + comportait cette phrase : « Jouer comporte des risques ».
Tous ces événements n’ont aucun rapport, me direz-vous ? Eh bien, si !
Nous entrons lentement mais sûrement dans une société d’interdits où l’on fait tout pour cul pabiliser les citoyens. Il est aujourd’hui difficile d’en griller une (une cigarette) car peu sont les endroits où c’est autorisé ! Et quand enfin vous en trouvez un (un endroit), les photos et les mentions sur le paquet vous rappellent que vous allez mourir (je ne suis pas fumeur !). Une récente campagne de publicité télévisée nous apprenait qu’au-delà de deux verres d’alcool par jour, on mettait sa vie en danger et que si l’on était dans ce cas il fallait vite en parler à son médecin.
Le soir, après la météo, une célèbre présentatrice nous fait tous les jours un cours sur ce qui est bon pour la planète et ce qui ne l’est pas. Ainsi, en 2011, nous apprenons que l’hiver il faut se cailler dans nos chaumières en ne chauffant pas à plus de 18 °, car c’est bon pour la pla- nète ! Il ne faut pas laisser couler l’eau du robinet pendant que l’on se brosse les dents, car c’est mauvais pour la planète ! L’été, il faut couper les climatisations dont nos voitures sont toutes équipées, car c’est bon pour la planète !
Aujourd’hui, pour être bon citoyen, alors que les industriels de l’agroalimentaire augmentent sans cesse le volume du packaging des produits que nous achetons, il faut trier ses déchets : poubelles bordeaux pour les ordures ménagères, poubelles jaunes pour les bouteilles en plas- tique, les boîtes de conserve vides (non empilées, attention !) et les cartonnettes (j’ai bien dit cartonnettes car si vous mettez des cartons, les agents préposés au ramassage ne les collec-
tent pas), poubelles bleues pour les journaux (sans plastique), et dans le village où j’habite il faut faire 2 km pour aller jeter les bouteilles en verre vides et non cassées dans le container idoine (j’ai bien dit bouteilles en verre vides et non cassées car le verre cassé c’est dans les ordures ménagères !).
Pendant que les gens qui nous imposent tout cela (en décrétant comment nous allons être heureux) voyagent en avion ou dans des berlines de luxe précédées par des motards qui leur « ouvrent » la route, pendant que les pseudo-écologistes (tout le monde en connaît au moins deux) font leur business en hélicoptère mais voudraient nous faire tous rouler à vélo, nous, c’est-à-dire le peuple, nous culpabilisons constamment car on nous répète à longueur de jour- née qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour, parce que vivre comme nous en avons envie coûte cher à la société, coûte cher à la Sécu, et provoque le réchauffement climatique qui va nous faire tous mourir.
Ben oui, fumer tue et provoque le cancer, boire du vin avec ses amis est dangereux pour la santé, manger des croissants et des pâtisseries le dimanche donne du diabète, la charcuterie
et le fromage du cholestérol. Nous n’osons plus resaler nos aliments à notre goût et mettre du sucre dans notre café. Acheter une belle voiture après avoir économisé pendant des années fait de nous des meurtriers en puissance et des pollueurs inconscients, prendre un bain plutôt qu’une douche est criminel pour la planète. Faire un Quinté + ou un Euromillion en rêvant de gagner le gros lot et ainsi améliorer son quotidien peut provoquer des addictions, recueillir un animal sauvage blessé et le soigner est interdit…
Bien entendu, j’entends déjà les moralisateurs des temps modernes crier au scandale en con- tredisant tous mes propos. Ils ont sûrement des arguments irréfutables scientifiques, je n’en doute pas ! Oui, mais nous, nous voulons simplement vivre ! Vivre et non pas subsister, dans le respect des gens qui nous entourent, cela va de soi ! Et nous ne voulons pas que l’on décide pour nous comment nous allons être heureux.
J’ai connu un mauvais citoyen. Il buvait l’apéritif tous les jours, du vin à chaque repas et un digestif tous les soirs avant de se coucher. Aux crudités, il préférait la charcuterie artisanale, salait beaucoup trop ses aliments et ne finissait jamais un repas sans un morceau de cantal (quelle horreur, c’est un fromage très gras !). il avait fumé, très longtemps, des cigarettes et des cigares. Ce n’était pas quelqu’un de riche, mais son plaisir était d’avoir de belles voitures françaises qu’il s’achetait avec ses économies et dans lesquelles il nous emmenait en balade pendant les vacances, mes cousins et moi. Pendant qu’il conduisait, nous lui chantions depuis l’arrière du véhicule « plus vite, plus vite » et pour nous faire plaisir il accélérait et dépassait très temporairement la vitesse autorisée en nous disant que si les gendarmes nous attra- paient, nous irions tous en prison, ce qui nous faisait peur. Il se rendait parfois à des banquets
et rentrait prudemment en voiture en ayant sûrement abusé de la dive bouteille.
Ce mauvais citoyen, c’était mon grand-père paternel.
À part ça, eh bien il s’est battu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale, a été prisonnier pendant quatre ans au fin fond de l’Allemagne. Il a travaillé jusqu’à sa retraite et a ensuite fait du bénévolat jusqu’à sa mort. Il donnait ses vieux vêtements à la Croix-Rouge française et, en saison, ne passait jamais une semaine sans apporter un panier de tomates et de cerises de son jardin aux sœurs catholiques du village. Il a toujours voté, eu un grand sens du devoir et beaucoup de respect pour nos institutions. Il chantait tous les ans à Noël à la cho- rale de la messe de minuit. Il disait, en parlant de la vie : « Courte, mais bonne ! ».
Il est mort en dormant à 74 ans, il y a vingt-trois ans. Je ne peux pas le faire parler mais je suis certain qu’il n’aurait pas aimé le monde d’interdits dans lequel nous vivons et tous ces bien-pensants qui nous culpabilisent et nous sanctionnent en permanence. En mai 68 (j’avais 5 ans), les gens criaient « il est interdit d’interdire ». Où sont passés ces révolutionnaires qui
pendant un moment ont fait vaciller le pouvoir de l’époque ?
« Il faut arrêter d’emmerder les Français », disait Pompidou. Il serait temps de l’écouter !
Thierry Bonnafous
http://www.lunion.presse.fr/article/francemonde/courrier-des-lecteurs-%C2%AB-il-faut-arreter-demmerder-les-francais-%C2%BB
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